Des épinards à l’agroforesterie : les jardins collectifs des femmes
Dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne, on peut observer en milieu rural, des jardins collectifs menés par les femmes des villages ou des hameaux. Selon le nombre de femmes, il y a un ou deux jardins, rarement plus.
Alors que dans bien des pays, les femmes n’ont pas accès à la terre de manière individuelle - la gestion du foncier étant réservée aux hommes - les traditions villageoises leurs permettent de mettre en place un jardin collectif, situé près d’un point d’eau, souvent à la sortie du village. Ces terrains sont alloués par les chefs de villages aux groupes de femmes existants.
Dans certaines zones où il y a beaucoup de petits animaux qui divaguent (chèvres, moutons, veaux...) les jardins collectifs sont un peu éloignés des villages pour éviter trop de dégâts.
Ces jardins s’organisent donc près d’une rivière ou d’un marigot qui reste en eau toute l’année, ou près d’un puits.
La ressource en eau qui est disponible pendant la saison sèche permet de développer des pratiques agricoles qui tranchent sur celles des champs, qui sont eux, cultivés que pendant la saison des pluies.
C’est un paramètre qui va leurs permettre de jouer un rôle capital, même si celui-ci est réduit par les petites surfaces cultivées et le manque de moyen pour amener l’eau aux cultures.
Peu de groupes de femmes sont en contact avec des partenaires qui puissent les aider à s’équiper pour faciliter l’accès à l’eau, son transport et sa distribution.
L’accès à l’eau reste dans la plupart des cas un facteur limitant.
La plupart des groupes de femmes érigent une clôture autour de leur jardin, pour se protéger des animaux qui divaguent. Rares sont les jardins entourés de grillage ou de fils barbelés. Le plus souvent, les femmes coupent des épineux en brousse, réalisant une clôture plus ou moins fonctionnelle, qui vieillit vite et qui nécessite d’être renouvelée régulièrement. Ce qui est rarement fait.
Ces clôtures ne forment donc pas de bonnes protections et il y a de nombreux dégâts dans ces jardins dus aux animaux qui divaguent. C’est aussi un facteur limitant les productions.
Peu de communautés ont un savoir faire maraîcher et donc un accès aux graines et à leur gestion.
Le plus souvent, les graines sont distribuées par des ONG ainsi que quelques outils (houes, râteaux, arrosoirs). Des fois, on en trouve quelques unes dans des marchés locaux.
L’accès à de bonnes variété de graines, adaptées au terrain et présentant un pouvoir germinatif élevé est le plus souvent un réel problème en brousse.
Peu de groupes de femmes ont pu se faire aider pour apprendre à produire leurs graines, les conserver, les échanger entre groupes locaux pour lutter contre l’érosion génétique. Plus on s’enfonce en brousse, plus la diversité et la qualité des productions, se réduisent.
Les graines forment aussi un facteur limitant les productions.
La plupart des femmes villageoises n’ont pas eu accès à l’éducation. Dans certains endroits le taux d’analphabétisme chez les femmes en milieu rural est de 99%.
Le savoir faire agricole qu’elles ont vient de la répétition des méthodes traditionnelles utilisées localement.
On y retrouve le brûlis (pour nettoyer un terrain sauvage avant de le cultiver), le semis à la volée (et non en ligne), des planches de cultures trop larges (on est obligé de marcher dedans pour les désherber), des parcelles cultivées avec la terre laissée à nu, une absence de protection des cultures contre les ravageurs, pas de fertilisation ou bien une fertilisation à l’aide d’excréments séchés (fumier de chèvres ou de moutons), des abris pour les pépinières mal orientés ou bien trop hauts ou trop bas….
Il y a donc un grand potentiel d’amélioration des pratiques agricoles pour amener ces groupes de femmes vers une production durable et productive.
Ce manque de connaissances forme aussi un facteur limitant les productions.
Malgré toutes ces difficultés, les femmes arrivent à produire, à force d’entraide et de persévérance.
Les jardins collectifs présentent des femmes de tous âges. Il y a une mixité qui renforce les liens sociaux existants au niveau des villages ; les travaux pénibles étant évités aux femmes les plus âgées, aux femmes malades ou en fin de grossesse.
Différentes organisations peuvent se rencontrer avec des niveaux de travaux collectifs plus ou moins importants :
La gestion de l’argent suit aussi celle des productions : elle présente aussi différents niveaux de « collectif ». Pour certains groupes, chaque femme cotise pour un montant décidé collectivement. Pour d’autres, l’argent nécessaire à couvrir le bien collectif (les graines, la clôture, des fois l’outillage) vient des productions collectives alors que les productions des parcelles individuelles ne servent qu’aux familles.
Dans tous les cas, les jardins collectifs sont sources de liens sociaux forts renforçant les comportements de solidarité.
Dans les pays où l’année agricole est ponctuée d’une courte saison des pluies (3-4 mois) et d’une longue saison sèche (8-9 mois), les régimes alimentaires changent pendant ces deux saisons (la production de légumes frais n’intervenant qu’en saison des pluies).
Une période critique au niveau alimentaire apparaît (appelée période de soudure), correspondant au début de la saison des pluies. Les greniers à grains sont quasi vides et la production de frais n’est pas encore arrivée, alors qu’il faut fournir les efforts pour relancer l’année agricole (défrichage, sarclage, fertilisation, labour, semis…).
Que la saison des pluies soit en retard, irrégulière, ou très faible et l’insécurité alimentaire apparaît.
Les productions de légumes frais durant la saison sèche et en période de soudure permet le maintient en santé des familles.
Là où les jardins des femmes sont implantés, on peut remarquer que les femmes produisent le plus souvent sur trois niveaux :
Les ventes aux marchés sont de véritables tremplins économiques permettant aux femmes de gagner par elles-mêmes de l’argent qui va améliorer la vie familiale (vêtements, santé, scolarité, aliments complémentaires...). Cet argent va servir aussi à la prise en charge des plus vulnérables de la communauté. Enfin, une partie est aussi réinvestie dans une activité plus lucrative.
De manière régulière les bénéfices des ventes des légumes permet la mise en place d’un petit élevage (chèvre, moutons, porcs, volailles) qui lui-même débouche souvent sur l’engraissement bovin.
Quand la direction prise n’est pas l’élevage, c’est souvent le petit commerce qui se développe, en complément de la vente des légumes.
Ces jardins collectifs sont donc des vecteurs socio-économiques forts, permettant aux femmes de prendre leur autonomie et de s’insérer dans la société rurale traditionnelle via l’économique.
L’argent collecté auprès de chaque membre d’un groupe de femmes participant à un jardin collectif sert pour la gestion du jardin mais aussi à la mise en place d’autres activités de développement.
Là, nous voyons des groupes s’organiser autour de pépinières, d’activité de couture, de tissage, etc.….avec du matériel acheté collectivement, ou bien à la mise en place de cours d’alphabétisation et plus largement d’éducation…..
Ces jardins servent de vecteurs de développement des communautés rurales.
Il suffit qu’un partenaire avec un projet de reforestation s’intéresse à ces groupes déjà constitués et dynamiques pour que les jardins deviennent des espaces agro forestiers.
Les femmes augmentent alors leurs bénéfices avec la vente des fruits et du charbon de bois issus des jardins collectifs. Les autorités locales et nationales saluent ce travail de reforestation qui bénéficie à l’ensemble de la communauté par son aspect économique, de régulateur climatique et au-delà du territoire, comme piège à carbone.