L’accès à l’eau au Soudan du Sud : un réel challenge
Le Soudan du Sud présente une saison sèche d’environ 7- 8 mois et une saison des pluies de 4-5 mois ; celle – ci étant la saison des cultures vivrières. Très peu de cultures se faisant en saison sèche excepté autour des rivières qui restent en eau (la plupart s’assèchent). Le Soudan du Sud présente donc un déficit d’eau pendant les ¾ de l’année avec un climat semi – aride ayant pour conséquence une période des cultures réduite à la saison des pluies. Ce fait, doublé d’un manque de connaissances techniques agricoles et d’un manque d’infrastructures de stockage des récoltes favorise l’insécurité alimentaire.
Au niveau santé, le Soudan du Sud se retrouve dans une situation où :
Trente années de guerre civile, sans système éducatif, aussi bien au niveau des écoles que des centres d’apprentissage technique ont laissé une marque profonde dans la population avec un manque cruel de connaissances et de compétences.
Au niveau social, les communautés qui vivent dans les Etats du Jonglei et du Lakes, sont semi – nomades. Une partie des familles est sédentaire, l’autre s’occupe des troupeaux de bovins qui sont considérés comme « les piliers » de la société en zone rurale. Toute la société traditionnelle est basée sur la vache.
Le vol de bétail est très courant, reposant sur une pratique ancestrale. Ceci a pour conséquence de donner une population sur le « qui-vive », très hostile, très agressive.
Les tensions entre ethnies sont fortes, de même entre clans ou familles à l’intérieur d’une même ethnie. Chaque semaine amène sont lot de morts et de blessés.
Dans ces conditions environnementales et humaines l’accès à l’eau devient une compétition, un challenge, une source de conflits entre les communautés.
Avant d’établir notre plan d’actions, nous avons mené une analyse exhaustive du contexte socio – économique des zones potentielles d’intervention. Les conclusions étaient identiques à celles des autorités locales et des principaux acteurs du développement ; favoriser l’accès à l’eau, c’est construire la paix.
De 2008 à 2013 nous avons travaillé à favoriser l’accès à l’eau sur trois niveaux :
Les programmes d’accès à l’eau pour la population se sont articulés autour de plusieurs axes, pour favoriser la durabilité des actions menées. Ils comportaient tous :
De 2008 à 2013 nous avons creusé 56 puits et réhabilité 59 autres ; ce qui a impacté environ 69 000 bénéficiaires pour un budget qui avoisinait les 2 M USD.
Dans l’Etat du Lakes State, qui était le plus touché au niveau du ver de Guinée, les actions se sont déroulées en coordination avec le Programme National d’Eradication du Ver de Guinée, du Ministère de la Santé.
L’accès à l’eau pour les animaux s’est réalisé en même temps que celui pour la population. Les plateformes supportant les pompes à main ont été redessinées pour que le chenal d’évacuation des eaux (qui débordent des jerrycans) se termine par un abreuvoir à l’extérieur des enclos grillagés, facilitant ainsi l’accès à l’eau pour les animaux qui gravitent au sein des villages (petits ruminants + vaches à certaines périodes de l’année).
C’est en 2010 que nous avons démarré des programmes d’irrigation pour des parcelles cultivées.
Ces programmes se sont doublés d’activité d’enseignement – éducation générale et connaissances agricoles – et ciblaient des associations de femmes.
Au Soudan du Sud, 99 % des femmes sont analphabètes. Le droit tribal prédomine en zone rurale, ne donnant aucun droit aux femmes. La nouvelle constitution ne reconnait pas non plus les femmes au niveau juridique ; pour porter plainte une femme est obligée de le faire « à travers » un homme (son frère, son mari, son père..) qui seul est reconnu par le tribunal. Les femmes se retrouvent sans éducation, sans droit, très asservies par la société traditionnelle où la polygamie n’est pas limitée (j’ai rencontré un des 179 enfants d’un chef marié à 65 femmes) et où les femmes « s’achètent avec des vaches ».
Malgré une volonté affichée des autorités de dé-marginaliser les femmes, les choses étaient longues à faire évoluer et le problème restait entier.
Permettre l’accès à l’eau en saison sèche pour les femmes, c’était travailler à la transformation du statut des femmes. C’était leur donner un outil pour qu’elles se développent en tant qu’actrices socio – économiques de leur communauté.
Les récoltes de la saison sèche (variété d’épinards, aubergines, tomates, poivrons, oignons, choux,…) permettaient d’équilibrer l’alimentation des familles principalement basée sur les graines récoltées en fin de saison des pluies (sorgho, maïs, arachide) en y apportant principalement vitamines et minéraux. Les excédents étaient vendus sur les marchés locaux.
Economiquement, l’accès à l’eau pour les cultures permet la mise en place d’activités génératrices de revenus.
Socialement, il est un élément moteur de prise de confiance en elles, pour les femmes, doublé d’un accès à un nouveau statut : celui de l’autonomie. Partant d’une situation de complète dépendance vis-à-vis de leur mari, leurs frères, les femmes ont maintenant un revenu, devenant ainsi plus autonomes et peuvent couvrir des frais tels la scolarisation des enfants ou leur frais de santé. C’est donc un « plus » pour toute la communauté.
Cette dernière orientation de l’accès à l’eau nous est apparue tellement importante pour son impact socio-économique sur les communautés que la mise en place de fermes écoles est devenue un axe principal de notre plan d’action depuis Janvier 2012.
Nos efforts sur l’accès à l’eau pour les cultures, se sont doublés d’un travail de mise en place d’un réseau de coopératives de femmes et d’une commercialisation groupée.
L’accès à l’eau au Soudan du Sud restera encore un levier principal de transformation de la société en milieu rural, qui permettra pas à pas de construire une paix durable.